Mes Chers Amis,
Vous m'excuserez, si j'emploie ce mot, mais ne dit-on pas couramment que les amis de nos amis sont nos amis? et Pierre Bourrinet, dont le souvenir est aujourd'hui présent dans tous les cœurs, en était un, pour vous et pour moi, dans toute l'acception du mot.
Je dois excuser d'abord, MM. le Sénateur Sireyjol ; Roques, Inspecteur d'Académie; le Sous-Préfet; Lathière-Lavergne, Conseiller Général; de Fayolles, Président de la Société Historique et Archéologique du Périgord, que je suis chargé de représenter, Ameline, Président de la Ligue d'Action Laïque et l'Inspecteur Primaire de Nontron, qui, pour diverses raisons, n'ont pu se joindre à nous.
Je remercie tous ceux qui ont répondu à l'appel du Comité, pour honorer la mémoire de celui que nous aimions et estimions en commun. Je ne vous parlerai pas de sa carrière d'instituteur. D'autres, plus qualifiés que moi, pourraient en dire tout le bien qu'ils en pensent. Je me bornerai à vous présenter l'œuvre scientifique et désintéressée du modeste chercheur qui, son devoir accompli, ne croyait pas sa tâche terminée.
C'est en septembre 1903 que, renseigné par M. l'abbé Breuil, qui l'avait été par notre éminent et regretté maître, le Père E. Cartailhac, je vins, pour la première fois à Teyjat, explorer la Grotte de la Mairie.
Je ne connaissais pas Bourrinet, mais, instituteur comme lui, j'allai frapper à sa porte. Madame Bourrinet me reçut et m'apprit que son mari était parti le matin même pour les Eyzies pour s'initier auprès de moi aux secrets de la préhistoire. Nous nous étions croisés en chemin.
En son absence, je visitai la caverne ; j'eus la chance et le vif plaisir d'y découvrir, ce jour-là, les belles gravures d'animaux qui décorent la cascade stalagmitique.
À dater de ce moment, sur mes conseils, Bourrinet commence l'exploration du sol de cette grotte et en même temps de l'Abri Mège tout voisin. Son esprit méthodique et ses dons d'observateur avisé, font de lui un fouilleur habile et soigneux. Aussi devient-il très vite l’associé de la Firme Scientifique Capitan, Breuil, Peyrony. Les premières découvertes sont signalées au monde savant, au Congrès Préhistorique de Périgueux en 1905. Persévérant, il poursuit ses recherches ici même pendant plus de dix ans et découvre des documents remarquables sur l'art et l'industrie de nos lointains ancêtres magdaléniens.
Ses travaux terminés, nous en publions ensemble les résultats. Tous les préhistoriens connaissent les études portant les quatre signatures : Une station magdalénienne à Teyjat — L'Abri Mège — Revue de l'Ecole d'Anthropologie, 1906. La Grotte de la Mairie à Teyjat (Dordogne). Fouilles d'un gisement magdalénien. — Revue de l'Ecole d'Anthropologie, 1908. La pièce maîtresse de l'Abri Mège est étudiée dans la même Revue, en 1909, sous le titre de: « Observations sur un bâton de commandement orné de figures animales et de personnages semi-humains ». Les mêmes préhistoriens publient au Congrès Interna¬tional de Genève en 1912: « Les gravures sur cascade stalagmitique de la Grotte de la Mairie à Teyjat ».
Beaucoup plus tard, en 1929, Bourrinet rend compte de ses dernières fouilles dans cette caverne, à la Société Historique et Archéologique du Périgord.
Poursuivant ses recherches dans le Nontronnais, de 1906 à 1914, il explore la Grotte des Grèzes, à Lussas-Nontronneau ; il fouille Sandougne et Tabaterie, commune de La Gonterie-Boulouneix. Ces gisements, étudiés en collaboration avec moi, ont fait l objet de mémoires publiés en 1913 et en 1928.
Lors de sa mise à la retraite, il se faisait une joie, alors qu’il était encore en pleine activité physique et intellectuelle, de pouvoir désormais se consacrer entièrement à des travaux qui avaient été la passion de sa vie. Retiré à Périgueux, il fouilla, en collaboration avec son gendre M. Darpeix, le gisement magdalénien de La Forge, commune de Plazac ( Dordogne). Puis ils reprirent les fouilles de Tabaterie. Pas pour longtemps, hélas ! La campagne de 1929 fut la dernière qu'il put diriger. C'est au cours de l'été de cette année-là qu’il eut la joie d'extraire un « trophée de bison », que les inventeurs offrirent au Musée du Périgord. Bourrinet avait également donné à ce Musée le moulage du bâton de commandement de l'Abri Mège dont l'original est au Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye avec l'essentiel des objets provenant de Teyjat. Son esprit d'observation lui avait permis de remarquer dans ses séries de Tabaterie, des « burins moustériens» considérés jusqu'alors comme déchets de taille ou pièces brisées. Il en fit une communication avec M. Darpeix et moi au Congrès International du Portugal en 1930. C’est son dernier travail.
Voilà l'œuvre scientifique de celui dont nous honorons aujourd'hui la mémoire.
Cette plaque, que nous lui dédions et que nous inaugurons, sera placée sous la sauvegarde de la Municipalité et de ses amis de Teyjat. Elle montrera aux générations présentes et futures ce que peuvent la volonté, la persévérance, la méthode, le soin, l'observation et le jugement, qualités maîtresses de l'ami que nous regrettons tous.
M. Faure, Maire de Teyjat, prit ensuite la parole pour associer toute la population de la commune à l'hommage rendu à Bourrinet, «le maître respecté de nombreuses générations d'élèves qui ne l'ont pas oublié ».
Au nom de la commune de Teyjat, dit M. Faure, je tiens particulièrement à remercier les organisateurs de la cérémonie d'aujourd'hui, ainsi que les généreux donateurs qui ont permis la pose de cette plaque à la Grotte de Teyjat pour perpétuer la mémoire de Pierre Bourrinet.
« J'accepte le marbre gravé en la mémoire de Pierre Bourrinet et tous les habitants de la commune se feront un honneur d'en assurer la garde ».
Dans une allocation très applaudie et toute spontanée, M. Mège, retrace la vie de Pierre Bourrinet. Il évoque son enfance laborieuse, sa jeunesse à l'Ecole Normale où son intelligence souple attirait déjà sur lui l'attention de ses maîtres. M. Mège, rappelle que M. Pierre Bourrinet fut pour lui le premier maître dont il ait gardé le souvenir ; sa grâce amène, sa cordialité, son affabilité attiraient à lui toutes les sympathies, en même temps que ses hautes qualités morales lui valaient bientôt l'estime générale. Noble cœur, dévoué à tous, Pierre Bourrinet trouva bientôt un élément à ses vertus, lorsque éclata à Teyjat vers 1905, une terrible épidémie qui apporta la désolation dans les foyers ; c'est alors qu'il se prodigua sans crainte au chevet des plus miséreux, apportant des médicaments, des conseils éclairés, et avec tous les soins, le réconfort de ses encouragements réfléchis et de sa présence rassurante.
Tant de mérites eurent leurs échos au Ministère de l'Intérieur, et bientôt il eut la joie de se voir décerner la médaille des épidémies, récompense des Héros Civiques.
Travailleur acharné, après l'accomplissement des devoirs de sa charge, il s'adonne bientôt aux recherches archéologiques.
Nous le voyons, tour à tour, élève attentif, disciple convaincu, collaborateur précieux de notre éminent ami Peyrony, qui, dans un aperçu saisissant vient de nous redire l'œuvre considérable de Pierre Bourrinet.
Puis, adressant à toute la famille présente, ses condoléances émues, « il y a, dit l'orateur, des hommes qui en disparaissant ne sont pas seulement une perte pour le cadre affectueux de leur entourage, mais pour le pays tout entier.
Je salue en Pierre Bourrinet, le fils du Périgord, dont il incarna les plus brillantes vertus, le maître qui fut un exemple de conscience professionnelle, et l’éminent archéologue ».
Un vin d'honneur offert par le Comité, groupa ensuite dans la salle qui sert de Mairie, les amis et les admirateurs de celui que ses travaux, ses recherches couronnés de succès, ont fait ranger parmi les savants préhistoriens tels que Capitan, Breuil et Peyrony.
La cérémonie se termina par la visite de la Grotte qui, depuis des milliers et des milliers d'années, garde dans son sein, douze panneaux gravés.
Avant de quitter ce petit bourg de Teyjat surplombé d'opulente verdure et qui semblait dire à tous : « Vous venez de rendre à Pierre Bourrinet le seul hommage qu'il eût souhaité », le Comité actif se réunit et décida de faire éditer une plaquette destinée à compléter ces mots de la plaque :